Chap
6 : Volkswagen.
Ce n'est pas le moindre paradoxe du phénomène 911
que d'avoir pour ancêtre une VW à ce point plébéienne qu'elle s'achetait ou
moyen de tickets d'épargne.
Il semble que Ferdinand Porsche ait tout ou long de sa vie été obsédé par
l'idée de construire une voiture populaire. En Allemagne, beaucoup de
constructeurs, même Mercedes, avaient dans leurs cartons les plans d'une petite
auto bon marché. Toutes les architectures étaient présentes. Des tractions
avant comme les Adler et les DKW, des propulsions traditionnelles comme les
Opel et quelques petites voitures à moteur arrière, dont plusieurs prototypes
sans lendemain furent construits par des firmes comme Ardie et Adler (1930). Le
projet de Daimler-Benz (1929) était plus intéressant puisque le moteur arrière
était un quatre cylindres boxer refroidi par air. Plus tard, cette auto fut
produite en série avec un moteur conventionnel sous le nom de Mercedes 130. Il
y eut même une version sportive à moteur central arrière, la 150, ouvertement
inspirée de la Tropfenwogen. Il faut noter que Mercedes fabriqua des voitures à
moteur arrière jusque 1939. Ferdinand Porsche connaissait bien tous ces modèles
et il n'est pas exclu qu'il ait participé à leur conception, mais ceci n'est
pas prouvé. Un après midi de septembre 1931, il décida de dessiner sa version
d'une voiture compacte à moteur arrière, plus petite que la future VW. C'était
le projet numéro 12. Le Konstruktionsbüro n'avait reçu aucune commande pour
cette voiture mais le projet intéressait Ferdinand qui sentait qu'il existait
un marché potentiel. Il n'avait pas tort, à la Noël de la même année, le Type
12 trouvait déjà acquéreur, Fritz Neumeyer, patron de Zundapp. Il rêvait, comme
tout fabriquant de motos de l'époque, de se lancer dans la construction
automobile. Le projet va échouer à cause de son exigence de munir cette voiture
d'un moteur en étoile refroidi par eau. Trois prototypes (dont un cabriolet)
seront construits par le carrossier Reutter dont c'est le premier contact avec
Porsche. Ce dernier a la satisfaction de constater que son système de
suspension à barres de torsion fonctionne correctement. Entre-temps, le marché
de la moto redevient florissant grâce à la promotion faite par le régime nazi
et le projet, jugé trop coûteux, est abandonné.
L'ingénieur Hans Ledwinka, ancien collaborateur du Professeur Porsche et qui
partageait ses conceptions, conçut à la même époque la Tatra V570 qui avait une
carrosserie presque identique à celle de la Type 12. Cette V570 était vraiment
très proche de ce qu'allait devenir la VW car elle était même propulsée par un
moteur à plat refroidi par air. Ledwinka en dériva ensuite une berline
aérodynamique, la Tatra 77. Cette voiture était une sorte de grosse Volkswagen
à moteur arrière de 2.970cc à huit cylindres en V refroidis par air.
Revenons en 1932. C'est alors que survient un épisode qui aurait pu changer le
cours de ce récit. La notoriété de Ferdinand est telle qu'il reçoit une
délégation soviétique qui lui propose de visiter les principaux centres industriels
de l'URSS. Porsche accepte et a la surprise de se voir proposer officiellement
le poste d'ingénieur en chef de toute l'industrie soviétique. Ferdinand est
impressionné et probablement ébranlé, mais il refusera, prétextant qu'il ne se
sent plus capable d'apprendre une nouvelle langue à 57 ans.
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Devant la maison familiale, à gauche, une VW 30 de 1937,
à droite, une des trois VW 3 de 1935 |
Entre-temps, l'histoire de Zundapp s'est répétée
avec le Baron Fritz von Falkenhayn, propriétaire d'une autre firme de motos,
NSU. Le Konstruktionsbüro lui vend la Type 32, propulsée par un quatre
cylindres boxer refroidi par air. Cette "Volksauto", très proche de
la future VW, est aussi construite à trois exemplaires, deux par Reutter et un
par Drauz. NSU se souviendra alors qu'un contrat passé avec FIAT lui interdit
de construire des autos et choisira de créer une moto populaire, la NSU
"Quick".
L'année 1932 voit la création d'Auto Union MG et du rachat de la P-Wagen par le
nouveau consortium. C'est le début d'une autre épopée glorieuse qui se
déroulera en même temps que le développement de la VW.
L'année suivante, le 11 février 1933, au salon de l'Auto de Berlin, le nouveau
Chancelier Hitler dévoile sa politique de développement d'autoroutes et de
démocratisation de l'automobile. Seize jours plus tard, c'est l'incendie du
Reichstag qui est le prétexte à la prise des pleins pouvoirs par les nazis. En
avril, a lieu la deuxième rencontre de Porsche avec Hitler. la première datait
ce 1926 et, si Adolf se souvenait bien de Ferdinand, ce dernier déclara qu'il
avait oublié cet épisode. Les deux hommes avaient tout pour s'entendre. Hitler,
de 13 ans plus jeune, était né en 1889 à Braunau en Autriche, près de la
frontière allemande. Ils parlaient le même patois autrichien. Rappelons que
Porsche était né à Maffersdorf en Bohème du Nord, citoyen tchèque de l'ancien
Empire austro-hongrois.
Dans un premier temps, le Führer sponsorise la P-Wagen, à vrai dire en divisant
par deux une subvention promise antérieurement à Mercedes. Ensuite, Hitler
revient sur l'idée de créer une voiture destinée au peuple allemand. Ceci ne
tombe pas dans l'oreille d'un sourd et en janvier 1934, Porsche publie un court
mémorandum traitant de la construction d'une telle voiture. Le Führer est
enthousiasmé par cette proposition.
Entre temps, Ferdinand Porsche est pris dans un engrenage qui le rapproche
encore plus du régime. Il est immédiatement forcé de renoncer à sa nationalité
tchèque (1934) et plus tard d'adhérer ou parti (1937). A ce moment les choses
commencent à aller vite, à tel point que le 22 juin 1934 la commande d'une
Volkswagen (Type 60) est signée par Hitler et il n'y a plus qu'à passer à la
réalisation pratique. Porsche est choqué par le prix imposé de moins de 1.000
Reischmark qui lui semble impossible. Il s'engage quand même, peut-on refuser
une demande de Hitler? On verra bien. Dans un premier temps, pour essayer de
diminuer les coûts, Porsche, pourtant excellent motoriste, se perd un peu dons
des réalisations bizarres comme un monocylindre avec soupapes en tiroir, un
bicylindre à 4 temps ou un moteur deux temps à double piston par cylindre. Rien
ne fonctionne bien jusqu'à l'arrivée d'un nouvel ingénieur venant de
Wiener-Neustadt, Xavier Reimspiess. Non seulement d'un coup d'oeil, il remarque
les défauts des moteurs expérimentaux, mais encore il ose le dire à Ferdinand.
Ce dernier, subjugué, lui laisse carte blanche et Reimspiess dessine un
excellent quatre cylindres boxer quatre temps qui donnera complète satisfaction
et se révélera même économique à construire.
Voici pour le moteur. Passons à la carrosserie, comme celle de la Porsche 356,
elle est l’œuvre d'Erwin Komenda. Cette berline, que nous appelons aujourd'hui
Coccinelle, Cox, Beetle ou Käfer, est grosso-modo hémisphérique. Cette forme
arrondie découle de deux principes. D'abord la notion un peu discutable qui
voulait qu'en créant une forme de dôme géodésique on augmente la rigidité de
l'ensemble et qu'on peut alors utiliser un châssis plate-forme léger. Ce
principe entraîne la nécessité d'une carrosserie rigidifiée par un très grand
nombre de points de soudure. Ceci ne tenait bien sûr pas pour la version
décapotable dont le châssis devait être très renforcé.
Le deuxième principe découlait des théories de l'aérodynamicien Paul Jaray. Le
moteur à l'arrière permettait de créer une carrosserie arrondie, certainement
plus proche de la forme de la goutte d'eau que les autres voitures de l'époque.
Les fentes d'aération du moteur aspiraient la couche limite et diminuaient
aussi le Cx.
A propos de carrosserie, on peut certainement affirmer qu'il y a un "style
Porsche". Il prend son origine dans la Wonderer Type 8 (pas fabriquée en
série, mais conservée par Ferdinand comme voiture personnelle), se continue
avec les Types 12 ainsi que 32 pour culminer avec la Cox définitive. Les
Porsche 356 et 911 dérivent bien sûr de la VW.
Le problème de la lunette arrière qui affaiblit le toit a beaucoup préoccupé
les ingénieurs. Présente sur les Type 12 et 32, elle est absente sur les
prototypes VW. On a même renforcé le toit par des nervures. Toujours pour ne
pas affaiblir le toit, c'est le capot arrière qui est percé de louvres qui
refroidissent le moteur et permettent au conducteur de voir vers l'arrière
(comme sur la Tatra 77 de 1934).
VERSUCHSWAGEN Vl & V2
Les deux premiers prototypes de la nouvelle Type
60, les Versuchswagen V1 et V2 (1935) sont construits en dix mois dans le
garage de la maison familiale. V1, la première Cox, est une berline plutôt primitive
quoique ses formes arrondies lui donnent un air futuriste pour l'époque. La
plate-forme est constituée d'une structure métallique centrale à laquelle sont
fixées deux planches de contre-plaqué. V2 est un cabriolet simplifié avec des
panneaux latéraux comme ceux du Speedster 356. A la demande de Hitler (qui
reste prudent), ces deux prototypes sont présentés pour estimation à
1'Association des Constructeurs Allemands (RDR ou reichsverband der Deutsche
Automobil industrie). Malgré les défauts des moteurs expérimentaux à deux
cylindres évoqués plus haut, la RDR se dit satisfaite et débloque des fonds
pour la construction de trois nouveaux prototypes. Depuis 1934, les SS,
délégués par Hitler, suivent constamment le développement de la petite auto et
établissent des relations suivies avec Ferdinand.
Signalons incidemment que Ferry Porsche épouse le 10 janvier 1935 Dorothea
Reiz. "Dodo" dont le décès en 1985 attristera la fin de sa vie. La
même année naît Butzi qui porte en fait le prénom de Ferdinand, comme tous les
aînés de la famille.
VW 3
Baptisés VW 3 (ou V3), les trois Cox suivantes
ont un plancher métallique et leur moteur à 4 cylindres Reimspiess est bien au
point. Elles sont terminées en octobre 1936, l'année des triomphes des Auto
Union P-Wagen. Ces trois VW seront testées 750 km par jour en hiver dans des
conditions de froid apocalyptiques. Les voitures n'ont pas de chauffage et les
crevaisons se multiplient, soumettant les équipages civils à des souffrances
considérables. Un rapport de la RDR est établi qui admet que la suite des
expérimentations peut être entreprise. Hitler est enthousiasmé, ce qui n'est
pas le cas des membres de la RDR qui voient de plus en plus dans la future VW
un concurrent redoutable.
VW 30
N'attendant pas la fin des essais des VW 3,
Hitler confie à Daimler-Benz la mission de construire une trentaine de nouveaux
prototypes, les VW 30 (parfois nommées V30). Comme les VI et VW 3, elles n'ont
pas de vitre arrière, ni de marchepied, le coffre avant ne dégage pas la roue
de rechange et les portes s'ouvrent vers l'avant ou moyen d'une poignée située
dans un creux (spécifique aux berlines VW 30). Mercedes ne s'acquitte de cette
mission qu'avec répugnance. D’avril à fin décembre 1937, le testing de ces
voitures est pris en main exclusivement par la SS dont 120 hommes se consacrent
à cette tâche.
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Trois évolutions d'arrières: en haut, sur le premier
prototype V1, les ouïes occupent la place de la future lunette arrière. Au
milieu, la V3 et en bas, la VW30. |
L’histoire de ces différentes Versuchswagen est
extrêmement complexe et même les spécialistes ne sont pas encore arrivés à une
certitude absolue. Ainsi, il est très possible que le cabriolet V2 et la
troisième VW 3 aient été réactualisés en V30.
Pour la production en série, percevant les réticences de la RDR, Hitler prend
les choses en main. Il crée la Gesellschaft zur Vorbereitung des Volkswagen
GmbH (GEZUVOR) dirigée par un triumvirat comprenant Ferdinand. En même temps,
Hitler décide la création d'un complexe industriel pharaonique comprenant une
ville pour les travailleurs. Le lieu choisi est Follersleben, ce sera
Wolfsburg.
En attendant que cette usine soit construite, la GEZUVOR s'installe avec le
Konstruktionsbüro Kronenstrasse à Stuttgart. Il reste un problème, Porsche ne
parviens pas à satisfaire Hitler dons son exigence d'un prix de 1.000
Reischmark. Le Führer décide alors que le financement de la VW sera effectué
par le Parti des Travailleurs Allemands (Deutsche Arbeitsfront ou DRF).
A partir de ce moment, toute l'équipe Porsche ne se consacre plus qu'au
lancement de la production des VW. En 1937, une délégation comprenant Ferdinand
et Ferry se rend aux USA et rencontre Henry Ford Premier. Le but est de séduire
les Américains, de se documenter sur les techniques de constructions à la
chaîne et de débaucher des ingénieurs d'origine allemande qui pourraient aider
le démarrage de Wolfsburg. Hitler essaye ainsi d'éviter que les Etats Unis ne
participent à la guerre prochaine. De même, il accueil Lindberg qui sera
longtemps un soutien pour l'Allemagne.
VW 303
En 1938, le Konstruktionsbüro quitte la
Kronenstrasse pour Zuffenhausen, dans ce qui va devenir la Werk 1.
Une première série de trois VW définitives est lancée, ce sont les VW 303 (= VW
30 = 3). Il y a là une berline, un cabriolet et une "toit ouvrant".
Ce seront les premières Cox à avoir une lunette arrière, des phares intégrés
aux ailes et des portes s'articulant à l'avant. De plus, on a installé des
marchepieds pour éviter que les portières soient souillées de boue. Ces trois
VW 303 sont préparées pour la cérémonie de la pose de la première pierre de
l'usine de Wolfsburg qui a lieu le 26 mai 1938. A cette cérémonie, le Führer
crée la surprise en baptisant inopinément la nouvelle auto KdF de "Kraft durch
Freude", nom d'une organisation de la jeunesse du DAF. Ceci contrarie fort
Ferdinand qui ne renoncera jamais à "sa" Volkswagen. Au retour, Ferry
Porsche raccompagne Hitler dans le cabriolet.
VW 38 ET VW 39
Trente quatre Cox VW 38 (de 1938) et un nombre
inconnu de VW 39 (de 1939) sont construites par Reutter à des fins
promotionnelles. Le cabriolet VW 38/31 sera offert à Hitler le 20 avril 1938.
Les voitures peuvent être commandées au moyen de tickets d'épargne qui sont
collés ou fur et à mesure dans un carnet spécial. Ce système sera repris
quelques années plus tard dans les systèmes de rationnement générés par la
guerre.